22.6.10

Le scénario immuable de l'interaction sociale

Il doit y avoir quelque chose de totalement irraisonné au fond de moi qui a perpétuellement de l'espoir. Espoir que je puisse correctement me confronter à la réalité, que je puisse vivre les choses au sens vivre du terme. C'est forcé puisqu'il arrive toujours un moment où je finis par accepter la confrontation alors que ma raison a clairement expliqué que tous les signaux étaient au rouge.
A chaque fois le scénario se reproduit de manière quasi identique. Cette part irraisonnée doit avoir une force terrible puisque je finis régulièrement par lui céder, malgré la perpétuelle reproduction du scénario.
On me propose une invitation : à une soirée, à un anniversaire, à un événement, que sais-je encore, bref à quelque chose où il y a interaction sociale, que cela soit à deux ou à plusieurs. Toutes mes premières réactions sont identiques : un souhait profond de refuser, une angoisse qui tend à la répulsion. Elles sont ensuite clairement explicitées, justifiées, le tout avec des arguments rationnels et basés sur de nombreuses expériences précédentes. Il n'y a absolument aucun doute sur la conclusion : il ne faut surtout pas accepter, il ne faut surtout pas y aller.
Parfois cela en reste là. Au moins ces fois-là la logique et le bon sens sont respectés.

Et d'autres fois vient le moment du basculement : la corrélation d'une insistance de mon interlocuteur, d'une attente, et de la part en moi irraisonnée qui espère. Le phénomène est sournois et prend un peu de temps en général, avec une lutte farouche. Il s'appuie aussi sur quelque chose de fort : alors tu ne veux pas te confronter à la réalité ? Alors tu ne veux pas vivre ? Et toujours il va y avoir cette petite voix, qui ne correspond même pas forcément à la part irraisonnée, qui va s'égosiller difficilement "Si ! Si !", avec une voix cassée et peu audible, mais qu'on perçoit tout de même, et qui émeut. Tout ceci converge, les sentiments prennent le pas, et ça bascule. La raison proteste énergiquement, l'expérience aussi, tous les signaux clignotent rouge. Mais en vain : ça a déjà basculé.
Alors je m'y rends, cela a lieu, je rentre. Et là le scénario est relativement invariable aussi : je me rends compte que je ne suis définitivement pas fait pour ça, que les interactions sociales me déplaisent ou au mieux m'indiffèrent, que je ne sais pas vivre les instants, que je ne sais pas profiter de la présence d'autrui pour peu que j'arrive déjà à la supporter. Rends compte ? Mais je le savais déjà ! Rends compte à nouveau à nouveau à nouveau à nouveau plutôt. Les petits éléments qui ont fait basculer en faveur de l'action sont montrés du doigts et ils ne la ramènent pas. Mais ils ont eu ce qu'ils voulaient. Et toujours la même incompréhension : comment j'ai pu accepter ? Comment j'ai pu encore une fois tomber dans le piège ? Comment j'ai pu encore une fois espérer ? Comment j'ai pu croire une nouvelle fois qu'une interaction sociale allait me faire du bien ? Comment j'ai pu encore ignorer tous les signaux, toute l'expérience, tous les arguments, au profit d'un espoir insensé et d'une petite voix désespérée ?

Réflexion et survie. Les mots de 2003 étaient bien trouvés. Survie parce que ce n'est qu'un simulacre de vie. On ne peut pas vraiment vivre sans supporter les interactions sociales. Cela fait plus de dix ans que je m'en rends compte. Cela fait longtemps que cela aurait dû déboucher sur le suicide. Il est très ironique que ça soit encore une fois un sentiment qui m'empêche de passer à l'acte; la peur. Et j'en ai marre que cette conclusion soit toujours la même.