Ma consommation d'alcool augmente. Je
suis très content.
« Y a-t-il des choses que tu
aimerais tenter ou expérimenter (même si tu ne le feras pas, par
peur, inhibition, manque de partenaire , ou simplement que tu ne sais
pas comment t’y prendre) ? » me demandait l'autre jour
mon amie Anne-Solène.
Rien.
Le 4/11 j'ai écrit par SMS à mon
« amie » Pauline :
« Hello, comment vas-tu ? »
Pas de réponse. Le 6/11 je lui
réécris :
« Mardi en pleurs pendant ma
séance psy...
J'espère que tu vas bien. »
Pas de réponse.
Elle met toujours
des jours pour répondre Pauline. Elle écrit à chaque fois qu'elle
s'en veut de mettre si longtemps pour répondre, mais rien ne change.
Du coup c'est un peu comme si elle n'existait pas.
Réponse ce 17/11 :
« Désolée, suis nulle, je
pense à toi mais je n'ai pas trop le courage d'écrire... Comment
vas-tu ? »
Treize jours, c'est
beaucoup, même pour elle.
Je réponds : « Pourquoi pas le courage ? »
Pas de réponse.
Douze heures plus tard, je continue :
« C'est déjà bien que tu
penses à moi !
C'est dommage que je ne puisse pas
le savoir du coup.
Comment je vais ? Mal.
Mais
à peu près tout le monde va mal ces temps il paraît ?
Comment ça va toi ?
Ma consommation d'alcool augmente.
J'aimerais bien mourir mais je n'ai
pas le courage de m'en occuper. Le timing serait bon car je n'ai
qu'une place annexe dans la vie des gens. Personne ne tient
spécialement à moi. Donc personne n'aurait de chagrin trop
longtemps. Ils seraient un peu tristes puis ils continueront leur vie
sans encombres. Mais tant pis, ça n'arrivera pas.
Ce ne serait peut-être pas idiot
qu'on s'écrive Pauline, ou qu'on se téléphone, ou qu'on se voit.
Mais bon. J'en sais rien. »
J'ai passé la
soirée à perdre aux échecs en ligne. Samedi en interclubs j'ai mis
5h30 pour battre un enfant classé 400 points de moins que moi. Je
trouve ça génial d'avoir dédié sa vie à un jeu et d'être aussi
nul. Cela me donne tellement envie de rester en vie.
Est-ce qu'un suivi
psy reproduit notre rapport au monde ? Alors je comprends pourquoi
c'est un tel massacre à chaque fois.
Massacre, un
mot trop fort ? Ah bah chacun sa perception. Puisque dans la vie
tout est question de perception et de ressenti. Chacun a les siens.
Ce qui est génial puisque tous peuvent être différents au sujet
d'une même chose. Et tout le monde a raison. C'est extraordinaire
non ?
Oui j'aimerais
vivre dans un monde qui ne fonctionne pas de manière aussi
grotesque, mais ce n'est pas possible. Du coup je suis des thérapies
mais ça ne sert évidemment à rien puisqu'on ne peut strictement
rien faire contre un point aussi poussé d'incompréhension et
d'effarement.
Donc oui,
personnellement, le fait que je ne comprenne rien à rien, je trouve
que c'est un massacre. Normalement on peut ne rien comprendre au
début, mais au fur et à mesure que le temps passe, que la thérapie
avance, on est censé comprendre des choses. Censé. Mais moi
ça serait plutôt le contraire. Dans les premières séances j'ai
l'impression de comprendre des choses, je suis content, je remercie
le psy. J'ai de l'espoir même, je me dis c'est génial, je vais
avancer cette fois. Haha. Puis non. Le temps passe et je comprends de
moins en moins jusqu'à ne plus rien comprendre du tout. Et ne
tellement rien comprendre que j'ai envie de mourir.
Alors oui,
j'appelle ça un massacre. Ou un fiasco. Ou un cauchemar. Ou une
hérésie.
Et donc oui c'est
vrai que quand, par le passé, j'en suis venu à souhaiter à un psy
par sms la mort de ses enfants, c'est préoccupant et c'est raté
comme expérience. Pas sa mort à lui, il n'en souffrirait guère,
donc la mort de ses enfants, beaucoup plus efficace. Il avait répondu
qu'il entendait ma souffrance. No comment.
Et donc oui c'est
vrai que quand, par le passé, j'en suis venu à souhaiter que le
cabinet d'un autre psy brûle, c'est préoccupant et c'est raté
comme expérience.
Attention, c'était
des psys exceptionnels, qu'on m'avait particulièrement recommandés,
qui avaient plein de patients, qu'ils aidaient sans doute pour plein
d'entre eux très bien. Mais moi pas, du coup. Pas de chance sur
l'interaction il paraît. Eh oui, c'est compliqué les interactions
humaines, ça peut marcher ou pas. Et parfois ça peut virer au
cauchemar, y compris quand les deux personnes ont d'excellentes
intentions. C'est ça qui est chouette avec les interactions
humaines. Cela me donne d'ailleurs très envie de rester en vie.
Que puis-je écrire
à ce sujet que je n'ai pas déjà écrit ? C'est difficile car
j'ai déjà passé des centaines d'heures à écrire. A procurer tout
ce matériel à mes psys. Tout ça, tous ces efforts, tous ces
espoirs, pour à chaque fois aboutir, au mieux à du vide, ce qui est
pas terrible, au pire à un massacre, ce qui me met en colère.
Un des trucs qui me
frappe le plus, c'est tous ces gens, quasiment tous en fait, qui
m'ont dit que ça allait bien se passer. Que je ne devais pas
m'inquiéter. Cela me met tellement en colère. Mais c'est juste le
monde qui fonctionne ainsi. Les gens ne peuvent avoir aucune idée de
comment ça va se passer, mais c'est plus fort qu'eux, il faut qu'ils
prétendent que ça va bien se passer. Ils se rassurent sûrement
eux-mêmes. Mais en l'occurrence on s'en fout un peu d'eux puisqu'ils
ne sont pas la question. Mais c'est un autre truc génial avec les
êtres humains : même quand ils ne sont pas du tout la
question, ils ramènent le sujet à eux. C'est totalement hors sujet,
et inconvenant, mais ils ne peuvent pas s'en empêcher. Alors c'est
sûrement aussi un truc d'interactions sociales, de dire que ça va
bien se passer, un signe de sympathie. Cela me fait vomir. Un truc de
croyances aussi sûrement, de faire croire à l'autre, en plus de se
le faire croire à soi-même. Bah, qu'est-ce que je peux dire, le
monde fonctionne ainsi, il paraît ! Il existe des gens, et
plein même, qui se réveillent le matin en se convainquant que leur
journée va bien se passer, et le pire c'est que ça marche, il
paraît. C'est tellement génial. Cela me donne d'ailleurs très
envie de rester en vie.
Alors truc
incroyable cependant, depuis 20 ans des gens me disent que je ne dois
pas m’inquiéter, que ça va bien se passer, mais ça se passe mal.
Mal au point où j'ai envie de mourir environ un jour sur trois
depuis 20 ans. Mal au point où je suis d'avis que ça aurait été
mieux que je meure à l'âge de 20 ans, ou à l'âge de 30 ans. Ou à
n'importe quel âge en fait.
Mais ce qui est
génial c'est que même ce constat ne stoppe pas le processus
immuable : on continue de me dire que ça va bien se passer. Je
continue d'entamer des suivis psys avec des psys qui pensent vraiment
que ça va s'arranger pour moi, enfin je crois qu'ils le pensent
vraiment, j'en suis à peu près sûr, d'ailleurs c'est peut-être
une règle universelle de psy de considérer qu'il y a une chance que
ça se passe bien, que les choses vont s'arranger. Le sommet de la
croyance.
Et j'y comprends
tellement rien. Et plus on m'explique, moins j'y comprends. Et plus
j'ai envie de mourir. Parce que imagine on t'explique mille fois un
truc que tu comprends pas, et tu le comprends toujours pas, bah
t'aurais forcément envie de mourir oui ?
Et donc là j'en ai
marre de croire à. C'est bon. J'ai assez donné. Le truc incroyable,
incompréhensible, étant que j'y ai cru pendant si longtemps. Et
recru après avoir cessé d'y croire. Cessé mille fois, recru mille
fois. N'importe quoi. Cela a tellement aucun sens. Ah mais on
m'informe que l'être humain fonctionne ainsi. Génial. Fantastique.
Cela me donne très envie de rester en vie.
Et je sais pas si
vous arrivez à imaginer à quel point c'est épuisant de croire puis
ne plus croire puis croire puis ne plus croire, à l'infini.
D'essayer de comprendre, de croire comprendre, puis se rendre compte
qu'on n'a rien compris. Recroire qu'on comprend, puis se rendre
compte que finalement non. A l'infini. C'est épuisant à un point
très poussé. C'est à se taper la tête contre les murs, comme
processus. Car c'est le règne du non sens. En tout cas c'est un
fonctionnement que je ne supporte pas, et si c'est ainsi que
fonctionne le monde alors je comprends pourquoi j'ai envie de mourir
aussi souvent.
Il est
tellement temps d'arrêter les frais. Tellement. Mourir serait idéal.
Je pourrais me jeter sous un train, ou sauter d'un pont sur
l'autoroute, ou dans la Saône de nuit dans le froid. Mes chances de
mourir seraient honnêtes. Mais je suis trop peureux, je n'en ferai
rien. Mais à défaut, puisque je
n'ai pas le courage de Stig Dagerman, de Sylvia Plath voire de Nick
Drake, ou de tous les autres, je peux au moins arrêter la torture
des suivis psys.
Qui marchent sans
doute très bien pour d'autres, mais qui, moi, me rendent fou. Je
pense que cela vient de plein de raisons, que j'ai déjà évoquées,
y compris dans ce texte, et que l'une d'entre elles est que l'on
essaie de résoudre quelque chose qui ne peut pas l'être. Et ça au
moins, contrairement à tout le reste, c'est logique : si on
essaie de résoudre quelque chose qui ne peut pas l'être, de toutes
nos forces, avec toute notre âme, tous nos espoirs, toute notre
énergie, tout notre élan, le tout évidemment sans parvenir à rien
puisqu'on ne peut pas le résoudre, on devient forcément fou. C'est
normal.
Je dois dire que
j'en veux beaucoup à tous les professionnels qui ne se sont pas
rendu compte que c'était impossible. Je pense que je leur avais
procuré suffisamment de matériel pour qu'ils puissent s'en rendre
compte. Mais je dois me faire une raison j'imagine, c'est sûrement
ainsi que fonctionne le monde. Et si forcément croire qu'on peut
résoudre la situation d'un patient, ou disons l'améliorer pour être
moins ambitieux, est une sorte de règle universelle de psy, je
comprends mieux. Je pense que c'est une mauvaise règle, mais je
comprends mieux. Je suis quand même très énervé et déçu, mais
si c'est ainsi que fonctionne le monde, et les humains, dont acte.
Mais j'en ai tellement souffert. A en avoir tellement envie de
mourir.
Je crois qu'une
seule psy a compris qu'on ne pouvait pas y faire grand-chose, sur le
principe au moins, Delphine, et je la remercie. Je ne sais plus quand
c'était mais je me souviens du jour où elle m'a dit que j'étais
structurellement dépressif. C'est l'une des plus grandes tristesses
que j'ai jamais ressenties (et pourtant j'en ai ressenties beaucoup).
La tristesse venait en partie de tous les faux espoirs. Auxquels
j'avais fini par croire à moitié, ce qui est déjà trop, la
preuve. Mais il y avait aussi sûrement de vrais espoirs, même
inconscients. Une vérité peut être particulièrement triste, mais
au moins c'est la vérité. Ce qui procure toujours au moins le
sentiment que les choses sont en ordre, et agencées comme elles le
devraient, et non pas qu'on est en train de nous leurrer / se leurrer
complètement.
La tristesse venait
surtout de la prise de conscience complète que j'aurai des périodes
de profonde tristesse toute ma vie. C'est probablement ce qu'on peut
apprendre de plus triste.
Par contre c'est
tellement authentique, cela correspond tellement à ce que j'ai
toujours vécu. C'est tellement évident.
J'essaie, depuis
longtemps, de me faire comprendre. Ce qui est incroyablement
difficile, quand les autres ont un point de vue si éloigné du
vôtre. Voire impossible. A quel point mes psys m'ont compris malgré
toute l'énergie que j'ai mise à leur expliquer ? Je ne le
saurai jamais. L'hypothèse la plus plausible est : pas très
bien. Pas assez, en tout cas.
Écrire ce texte
donne quelques réponses j'imagine, j'espère. Mais peut-être
devrais-je aussi ajouter à quel point il est logique que je ne sois
pas fait pour vivre dans le monde tel qu'il est. Que je ne comprends
à peu près rien à rien, sans exagérer. Parler de la politique, de
l'écologie, des violences, de l'effondrement à venir, des millions
d'animaux tués chaque jour, de la destruction des écosystèmes, des
futurs millions de réfugiés climatiques, des conflits, des guerres,
des tortures, des maltraitances d'animaux, d'humains, d'enfants, des
souffrances, de toutes les souffrances. Des non sens, de tous les non
sens. Des caractéristiques humaines. Et d'à quel point je peux
souffrir des mauvaises sans jamais pouvoir espérer compenser avec
les bonnes. Jamais.